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"Quatre femmes qui

déplacent des montagnes"

Une interview réalisée

par Graines de Changement

pour le n° 4 de Canopée !

Après notre dossier sur le biomimétisme paru dans Canopée n°3 (paru en 2005), nous avons publié dans la nouvelle édition du magazine une interview croisée de 4 femmes exceptionnelles. La version courte de cette interview est parue dans le passionnant numéro 4 de Canopée (en vente dans tous les magasins Nature & découvertes) mais vous pouvez la télécharger en version PDF et lire en ligne, ci-dessous, la version intégrale du texte (© Marie Balmain & Elisabeth Laville , Graines de Changement - reproduction, même partielle, interdite).

Alors qu’une psychanalyste américaine vient de publier un livre appelant au rassemblement des femmes dont les penchants naturels à nourrir et à protéger correspondraient aux qualités dont notre monde a besoin pour panser ses blessures, nous avons rencontré à l'occasion de la Journée Mondiale des Femmes et pour le numéro 4 de la revue Canopée, publiée par Nature & découvertes, quatre femmes exceptionnelles qui, sur quatre continents, sèment les graines d’un monde meilleur…


« Je crois que l’écologie
est profondément liée à la spiritualité. Sans elle, vous devenez un éco-technocrate, aussi insensible à la douleur de la violence infligée à la nature qu’à la joie de la protéger.»

Vandana Shiva
Née en Inde en 1952, Vandana Shiva, biologiste et philosophe, porte la cause de la biodiversité et les droits des populations indigènes sur tous les fronts, des manifestations alter-mondialistes aux négociations de l'OMC.
Fille d’un garde forestier, elle s’engage à 18 ans dans le mouvement écologiste et féministe Chipko contre la déforestation. A 30 ans elle crée sa fondation pour la science et l’écologie, qui prône l’implication des populations dans les décisions les concernant et donnera naissance à de nombreux projets en Inde : une université pour des modes de vie durables, un mouvement féministe pour la diversité biologique et culturelle, mais aussi Navdanya, un programme pour la protection de la biodiversité et des cultures traditionnelles qui crée des banques de semences, forme les paysans au bio pour les libérer du joug des multinationales agro-chimiques, et mène des campagnes contre le brevetage du vivant ou la privatisation de l'eau.
 


« J’ai travaillé pendant 25 ans
à la réussite d’une entreprise
et je veux en faire quelque chose. Il n'y aurait rien de pire,
à mon âge, que de rester là, assise au bord d'une piscine, à ne m'inquiéter que de mon lifting."
(Photo ©Joel Anderson)

Anita Roddick
À 63 ans, la fondatrice de l'enseigne cosmétique The Body Shop, chef d’entreprise engagée, militante et visionnaire, pense à tout sauf à la retraite : "plus je vieillis, plus je deviens radicale!" Tout commence en 1976 : Anita veut gagner de l’argent pour nourrir ses enfants et ouvre une première boutique à Brighton en Grande-Bretagne. En vingt ans, la marque devient l'une des plus appréciées au monde, avec 2000 boutiques dans 50 pays. Un succès dû à la personnalité d’Anita Roddick qui utilise le pouvoir de son entreprise pour faire bouger les choses : le refus des tests sur animaux, la protection de l'environnement, le commerce équitable ou la dénonciation des canons de beauté imposés par l'industrie…
Anoblie par la Reine, Anita a quitté The Body Shop en 2002 : elle utilise désormais sa notoriété pour dénoncer les dérapages de la mondialisation et a décidé de consacrer sa fortune à la promotion des droits de l’Homme.


« La générosité est un outil de changement très important, surtout quand il s’agit de nourriture. Donner quelque chose sans rien demander en échange est une façon formidable de faire découvrir une nouvelle idée à quelqu’un.» (Photo ©Norman Jean Roy)

Alice Waters
Elue parmi les dix meilleurs chefs au monde en 1996, Alice Waters, 51 ans, veut faire en sorte que chacun puisse manger d’une manière qui célèbre à la fois ce qu’il est et la terre qui le nourrit. Après avoir étudié la culture française à Berkeley dans les années 60, Alice travaille dans une école alternative Montessori à Londres et parcourt la France, où elle y découvre, avec les films de Pagnol, qu’un bon bistrot peut devenir le cœur d’une communauté, un lieu où les gens trouvent réconfort et amitié. De retour à San Francisco, elle ouvre Chez Panisse en 1971, avec un menu à prix unique, composé de produits de saison achetés à un réseau unique de producteurs locaux.
Militante du bio, administratrice du mouvement Slow Food qui défend les produits de terroir contre la mondialisation, Alice a aussi créé une Fondation qui crée des jardins potagers dans les écoles, pour changer la façon dont les petits Américains se nourrissent.


"Je fais ceci pour tous ceux
qui sont attachés à la liberté
et à la justice, car sans ces idéaux nous ne pourrons pas sauver la planète." (Photo ©Ricardo Medina)

Wangari Maathai
Première femme d'Afrique, et première écologiste, à avoir reçu le prix Nobel de la Paix en 2004, Wangari Maathai, biologiste, a très tôt fait entendre sa voix dans un pays où les femmes ont rarement leur mot à dire. A 24 ans, elle crée le Conseil National des Femmes du Kenya et commence à sensibiliser les femmes aux conséquences sociales et environnementales de la déforestation : première source d'énergie pour 90% des foyers, le bois est en effet utile pour la nourriture, la construction, la protection des terres contre l'érosion,… Treize années plus tard, elle fonde le Greenbelt Movement afin d'encourager la plantation d'arbres par les communautés – un projet qui a permis la plantation de plus de 20 millions d'arbres. Militante de terrain longtemps restée dans l’opposition au régime autoritaire en place (elle a même fait de la prison), Wangari a été élue au Parlement en 2002 puis nommée secrétaire d'Etat à l'Environnement.

Graines de Changement : Vous agissez toutes, dans vos domaines de prédilection, pour changer le monde… Mais êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste sur le devenir de la planète ?
VS - Je suis assez pessimiste quand je regarde le monde des institutions super-puissantes, les multinationales ou la Banque Mondiale, mais dans l'ensemble je reste très optimiste quand je me tourne vers les individus, leurs initiatives et les mouvements qu'ils font naître.
Sur beaucoup de sujets, nous avons commencé à prendre conscience que les tendances dominantes ne sont pas les bonnes. Elles sont une voie sans issue d’un point de vue écologique et génèrent de graves conflits sociaux. Peu à peu, les choses bougent grâce aux individus. A Dehli par exemple, nous avons réussi, après 3 ou 4 ans, à stopper la privatisation de l'eau ; et nous gagnons aussi à chaque fois que nous attaquons une multinationale qui veut déposer un brevet sur le vivant…
AR – Pour ce qui me concerne, je suis animée d’un optimisme quasi-pathologique, qui doit sans doute beaucoup à mes origines italiennes ! Et aussi à ce que je vois autour de moi, notamment aux initiatives innovantes qui se multiplient et au fait que ceux qui ne pouvaient pas faire entendre leur voix avant y parviennent désormais, grâce aux nouvelles technologies comme Internet, ils s’organisent, montent en puissance… Et nous comprenons mieux qui dirige le monde, pourquoi les guerres se produisent ou comment instaurer la paix.
AW – Ce n’est pas difficile d’être pessimiste quand on voit les choses choquantes qui se produisent partout dans le monde, du réchauffement climatique aux guerres… mais je crois que je suis aussi une optimiste née. Et nous avons quand même quelques bonnes nouvelles : il suffit par exemple de regarder les objectifs du Millénaire pris par les Nations-Unies pour vaincre les problèmes majeurs comme la pauvreté, ou le succès du dernier rassemblement de Slow Food en Italie, où les gens sont venus de 140 pays différents et parvenaient à se retrouver autour d’une même vision des priorités, tout en parlant 6 ou 7 langues différentes dans certains cas !
WM – Moi aussi, je crois être une perpétuelle optimiste. Et je suis encouragée dans ce sens par ce que je vois actuellement en Afrique : d’un côté les efforts faits par les gouvernements pour travailler ensemble à améliorer la gouvernance, la qualité de vie des personnes, la protection des écosystèmes forestiers, la participation des communautés aux décisions qui les concernent, etc. Et de l’autre, tous ces gens qui s’engagent concrètement, sur le terrain ou au niveau national dans mon pays par exemple…

Graines de Changement : Dans ce qui vous occupe aujourd’hui, quel est le changement le plus urgent à mettre en œuvre, selon vous ?
WM – Je vais répondre par un exemple. Les astronautes de la dernière navette spatiale ont raconté à leur retour qu’ils avaient vu un épais nuage de poussière au-dessus de l’Afrique, du fait du vent qui soulève les terres mises à nu par la déforestation, la dévégétalisation, etc. Pour les mêmes raisons, nos rivières sont maintenant brunes ou rouges parce qu’elles charrient beaucoup de cette terre… Tout cela est lié, indirectement, aux problèmes de malnutrition ou de famine, et à la pauvreté en Afrique. Alors pour moi, le changement le plus important à mettre en œuvre serait que la prochaine fois, les astronautes ne voient plus ce nuage de poussière au-dessus de notre continent mais un tapis épais de végétation. Ce qui voudrait dire que nous avons beaucoup travaillé pour protéger le sol, éduquer les gens, etc.
VS - Ce qui me préoccupe le plus, c'est que les multinationales, et les autres institutions qui servent leurs intérêts comme l'OMC ou la Banque Mondiale, tentent de privatiser les ressources vitales de la planète – comme la biodiversité ou l'eau. Un autre sujet qui me tient à cœur, évidemment, c'est que l'agriculture soit progressivement détruite par la tendance à l'industrialisation tous azimuts et la productivité à tout crin… et aussi, bien sûr, par les OGM qui ne sont qu'une façon de vendre plus de pesticides puisque les plantes deviennent plus résistantes.
AW – C’est vrai, il est primordial de changer la relation que nous avons avec notre nourriture, et surtout de mieux informer chacun d’entre nous sur les conséquences de nos choix quotidiens. C’est à cela que je travaille en ce moment, pour créer des programmes scolaires conçus pour apprendre aux enfants de tous âges, autour d’un jardin par exemple, comment se nourrir en prenant soin de la terre et de soi – c’est ce que j’appelle l’éco-gastronomie !
AR – Alice a raison, l’information et l’éducation sont essentielles, notamment sur les implications de nos choix de consommation. Nous devons être mieux informés sur ce qui peut faire progresser la justice sociale, l’équité dans les échanges commerciaux, le respect des droits de l’Homme au travail… Et ensuite nous devons agir, c’est pour cela que nous sommes sur cette planète. Il nous faut faire en sorte que cet engagement devienne plus branché et attractif que la mode, par exemple !

Graines de Changement : qu’il s’agisse de lutter contre la pauvreté, pour la santé ou le commerce équitable, beaucoup de ceux qui agissent sur le terrain sont aujourd’hui des femmes… et les programmes qu’elles développent sont aussi souvent destinés aux femmes. Pourquoi cela, à votre avis ? Les femmes auraient-elles un rôle particulier à jouer dans la construction d’un monde meilleur ?
AW – Ah oui ! Les femmes s’occupent des enfants et ce sont elles qui achètent de quoi nourrir la famille. Si elles sont bien informées, elles peuvent donc prendre les bonnes décisions et dépenser leur argent d’une manière qui contribue au mieux-être de la planète… Les hommes peuvent le faire également, bien sûr, mais pour des raisons presque biologiques, une mère n’a pas d’autre choix que de faire attention au monde dans lequel grandit son enfant.
AR –D’autant plus que ce sont les femmes qui travaillent la terre, qui portent l’eau, qui s’occupent des maisons… Elles sont davantage connectées à la terre que les hommes.
WM – Je crois que lorsque l’environnement naturel est dégradé, les premières victimes sont les femmes et leurs enfants. En Afrique, leur survie dépend souvent de la terre, de la forêt, des rivières… Quand ces ressources sont détruites, les hommes s’en vont chercher du travail en ville mais les femmes et leurs enfants restent dans les campagnes. Et puis les femmes ont été éduquées pour penser aux autres avant de penser à elles, et du coup elles sont souvent les premières à réagir pour trouver rapidement des solutions aux problèmes qui menacent leurs enfants, leurs proches, etc.
VS – C’est vrai que les domaines les plus sensibles aujourd'hui - l'eau, l'agriculture et la nourriture - sont aussi ceux qui étaient traditionnellement réservés aux femmes, sans doute parce qu'ils sont essentiels à la vie. Du coup, les femmes ont développé une expertise particulière sur ces sujets et aujourd'hui, quand les multinationales tentent de détourner à leur profit ces domaines, les femmes sont en première ligne pour organiser la résistance de manière créative et efficace. C'est notre responsabilité à toutes que de proposer une alternative au mode de pensée dominant que nous imposent les entreprises mondialisées : les grandes entreprises font de l'eau une commodité alors qu’en Inde, nous la voyons comme notre mère ; elles font des graines des biens privés ou des brevets alors que nous les voyons comme un patrimoine commun hérité de nos ancêtres…

Graines de Changement : Margaret Mead a dit qu’il ne fallait jamais douter du fait qu’un petit groupe de citoyens engagés et conscients puisse changer le monde… A votre avis, le changement viendra-t-il plutôt des individus ou des instances publiques ?
VS - Le changement viendra de la société civile, des gens ordinaires qui s'organisent, et pas des autorités… que les entreprises peuvent contrôler ou corrompre trop facilement !
AR – C’est sûr : le changement viendra des individus car les instances publiques sont trop hiérarchisées, et cela les empêche d’être créatives. De toute façon, si vous prenez la pauvreté par exemple, personne ne comprend mieux le problème que les pauvres eux-mêmes, ils sont donc aussi les mieux placés pour le résoudre, à condition qu’on leur donne le pouvoir de le faire.J’ai assez peu confiance dans les autorités, elles n’aident que ceux qui ont déjà pignon sur rue, en Angleterre en ce moment si vous défiez le gouvernement, vous êtes vu comme un terroriste !
AW – en fait, le changement doit probablement venir des deux côtés. Il faut penser global et agir local : les lois doivent changer, mais les actions sur le terrain sont ce qui fait changer l’opinion, et ces prises de conscience sont ce qui fait changer les lois. Mais c’est vrai que les décideurs politiques ne comprennent pas les problèmes, par exemple sur la question de la nourriture, ils ne voient pas que c’est ce que nous mangeons qui nous rend malades, il y avait d’ailleurs un très bon article là-dessus l’autre jour dans le New-York Times, sur le diabète…
WM – Cette citation est très vraie. Je crois que ce que Margaret Mead a voulu nous dire, c’est qu’il ne faut pas forcément attendre que tout le monde comprenne ou accepte ce que nous essayons de faire, nous devons croire en ce que nous faisons même si nous sommes très peu nombreux, après tout le nombre importe moins que le message et l’engagement de ceux qui le portent. Les gens qui restent dans l’histoire et les mémoires, ceux dont le message est ensuite porté par des millions de personnes, sont ceux qui se sont battus avec passion et ont finalement changé notre façon de voir les choses.

Graines de Changement : Pourtant, les individus se sentent souvent démunis et inutiles face à l’ampleur des problèmes… Qu’est-ce que je peux faire, à mon niveau ?
AW – Chacun, chaque jour, dépense de l’argent pour acheter de quoi manger. En faisant faisons attention à ce que nous achetons, nous pouvons changer beaucoup de choses. C’est possible, il suffit d’être vigilant…
VS- Absolument. Qui que vous soyez, où que vous soyez, vous pouvez contribuer à changer les choses au quotidien, en commençant par faire attention à ce que vous mangez : achetez-vous des aliments contenant des OGM ? Etes-vous client de McDo ou préférez-vous des produits cultivés par des agriculteurs locaux ? Buvez-vous du Coca ou essayez-vous plutôt d'influencer la mairie de votre ville pour faire en sorte que l'eau potable soit la plus saine possible ? Ce sont des choix qui concernent tout le monde, car chacun doit manger et boire, mais ces choix sont aussi une façon de voter pour le monde que nous voulons.
AR – Cette idée qu’une seule personne ne peut rien faire est un mythe… qu’il ne faut pas accepter. La plus importante chose à faire est de s’informer, puis d’agir. Mieux encore : plongez en vous pour trouver ce qui vous révolte, puis concentrez-vous là-dessus, trouvez des alliés dans ce combat, et travaillez ensemble à changer les choses !
WM – Chaque personne compte parce que tous les problèmes très globaux et complexes auxquels nous faisons face peuvent être décomposés en de plus petits problèmes qui peuvent être traités au niveau individuel et local. Par exemple, mon nuage de poussière au dessus de l’Afrique est quelque chose de très global… mais chaque Africain peut contribuer à le résoudre en faisant deux choses : protéger chaque arbre, même un tout petit plant, qui est encore debout, et remplacer chaque arbre qui est coupé. Imaginez ce que cela représenterait si chacun des 600 millions d’Africains plantait un arbre par an ! Et comme les arbres absorbent le CO2, cela aurait aussi un impact positif sur le changement climatique et par conséquent sur le recul de la sécheresse en Afrique.

Graines de Changement : Gandhi a dit que nous devons être le changement que nous voulons voir dans le monde. Mais quel est à votre avis le changement intérieur que nous devons mettre en œuvre, dans nos valeurs et nos attitudes, pour générer du changement autour de nous ?
VS - Cette phrase de Gandhi est mon credo. Cela ne sert à rien de critiquer, il faut reconnaître nos responsabilités et agir. Tout le système actuel est fondé sur l'humiliation des individus. Les entreprises vendent de la frustration et de l'infériorité : leurs biens ne nous font pas du bien ! Il est essentiel de redonner de la valeur à la simplicité, et de savoir où s'arrêter : c'est ce qui amène la satisfaction dans l'existence, par opposition au consumérisme qui est fondé sur l'insatisfaction perpétuelle. La simplicité est bonne pour la planète et pour nos âmes !
WM - Je crois que Gandhi, avec cette phrase, répondait à des gens qui lui demandaient que faire pour changer ceci ou cela… Le message qu’il voulait nous faire passer, c’est que nous devons arrêter de faire porter la faute à d’autres, nous devons commencer nous-mêmes à vivre en respectant certaines valeurs.
AR – Le changement intérieur se produit avec l’expérience. Les gens disent toujours qu’on cherche le sens de la vie, mais je ne crois pas que cela soit vrai : ce que nous cherchons, avant tout, c’est à nous sentir en vie, à participer pleinement à la condition humaine. Et cela ne vient jamais quand on lit des rapports ou des tableaux de chiffres sur un problème mais seulement quand on agit concrètement sur le sujet, avec d’autres…
AW – J’adore cette citation de Gandhi ! Et je crois qu’il nous faut aussi parler au plus grand nombre de gens possible, pas juste aux convertis : nous devons amener ces sujets dans les endroits les plus inattendus…

Graines de Changement : Quelle est la leçon la plus importante que vous ayez apprise à ce jour ?
WM – J’ai appris trois choses. D’abord que je dois être patiente parce que rien ne se fait en une nuit. Ensuite que je dois être à la fois très engagée et très persistante – parfois c’est un peu décourageant car vous travaillez dur et rien ne passe, mais il faut s’accrocher, pour le Green Belt Movement cela a pris 30 ans, ce n’est pas rien, c’est la moitié de ma vie ! Et en prenant de l’âge, aussi, j’ai aussi réalisé une chose, c’est que notre temps est limité et qu’il me faut donc travailler tant que je le peux encore…
VS – C’est que pour changer le système, il faut d'abord changer soi-même – comme dans la phrase de Gandhi. J'ai vu trop de mes collègues s'obstiner trop longtemps à réclamer des choses à un système oppressant, et je crois ce n'est pas comme cela que nous changerons les choses. Voilà ce que j’ai appris : le niveau le plus élevé de résistance est de créer une alternative au système en place…
AR – A condition de savoir la communiquer ! Première leçon : quels que soient votre engagement et votre sincérité, si vous ne savez pas communiquer, vous n’arriverez à rien ! Deuxième leçon : l’argent corrompt l’esprit humain, donc si vous en gagnez, vous devez mettre des obstacles pour éviter que cela vous isole du reste du monde, c’est comme ça que j’ai décidé de distribuer ma fortune à des causes !Et aussi ceci : il faut s’amuser ! Les femmes savent bien faire cela, et de toute façon le nouveau millénaire sera marqué par le rire, qui est quand même le signe du partage et de l’amitié.
AW – Je suis d’accord sur la communication : il faut que le message soit clair et cohérent dans le temps. Moi j’ai parfois l’air d’un disque rayé mais au moins tout le monde sait pour quoi je me bats, et ils savent aussi que je ne ferai pas de compromis, je veux que tout les enfants puissent faire des repas bons et sains… L’autre chose que j’ai apprise est que les messages positifs sont les plus efficaces et convaincants – cela ne mène pas très loin de se contenter de dire « ne mangez pas ceci ou cela » si vous ne proposez pas une autre expérience, plus enthousiasmante.

Graines de Changement : que faites-vous, personnellement, pour prendre soin de vous et conserver intacte toute votre énergie ?
VS - C'est une bonne question…Je crois que je ne sais pas trop prendre soin de moi, en fait, j'ai même passé beaucoup de temps à l'hôpital l'an dernier, car j'ai tiré sur la corde et atteint mes limites physiques en enchaînant les voyages, les conférences, etc. Je sais mieux comment prendre soin de mon âme : je ne laisse pas mon égo me diriger, je m'entraîne à travailler dans un esprit de service, en considérant avant tout ce que je peux apporter à une situation, et non ce que je peux en tirer. C'est un travail spirituel permanent. Et bien sûr je prends du temps pour méditer un peu, me retrouver en paix avec moi-même… Cela me permet de garder en permanence à l'esprit ce qui est le plus important pour moi, de ne pas me laisser distraire, dans les moments où votre travail est ignoré tout comme dans ceux où il est reconnu ou récompensé.
AW – De mon côté, je fais du yoga, je m’offre un massage par semaine et je rends souvent visite à mon accupuncteur. Mais surtout, je cultive les relations avec ma famille de cœur, un large groupe d’amis que je vois régulièrement et avec qui j’échange souvent sur tous ces sujets. Je crois que c’est important de rester ouvert à ce que les autres font, pour voir comment faire des choses ensemble, et aussi pour éviter de se sentir isolé. Nous faisons partie d’un même courant global de pensée et d’action…
WM – J’essaie de faire de l’exercice aussi souvent que possible pour entretenir mon corps. Mais surtout je me rends souvent dans les zones rurales pour rester en contact avec les réalités et les gens qui vivent près des forêts, qui les protègent et comprennent leur importance… Cela me donne beaucoup d’énergie et c’est une nourriture spirituelle aussi.
AR – Moi je procède par élimination : je ne fais ni yoga, ni méditation, mais je ne bois pas, je ne fume pas,… Je me concentre sur ce qui me rend heureuse : l’art, la créativité, la poésie… et par dessus tout ma famille. Sans oublier les tomates, qui sont le secret de mon optimisme : je n’ai jamais rencontré d’italien dépressif et je crois que les tomates y sont pour beaucoup !

Graines de Changement : Y a-t-il un message que vous voulez faire passer aux femmes qui sont ici avec vous ?
AW – Il faut que nous trouvions de nouvelles façons de travailler ensemble ! Je côtoie déjà Vandana au sein du mouvement Slow Food, mais j’adorerais trouver des projets à mener avec Anita et Wangari… Nous tissons la même toile : à chaque fois que l’une d’entre nous amène des idées nouvelles, le motif devient plus clair, et le message est d’autant mieux compris.
AR – Ce que je voudrais dire, c’est : utilisez-moi, tenez-moi au courant de tout ce que vous faites, et je rameuterai sur le sujet tous les médias que je connais… Et aussi ceci : retrouvons-nous vite pour dîner toutes ensemble !
VS – La seule chose que je voudrais vous dire à toutes, c'est merci d'être là et d'être qui vous êtes !
WM – Moi je voudrais dire que nous sommes comme des sœurs, je me sens connectée à chacune d’entre vous et je vous remercie pour tout ce que vous faites et pour l’inspiration que vous me donnez – parfois quand je suis découragée, je pense à vous et je me dis « si elles font tout cela, je dois continuer aussi »….


POUR EN SAVOIR PLUS…
Sur Vandana Shiva
www.navdanya.org
« La vie n'est pas une marchandise : la dérive des droits de propriété intellectuelle » (Ed. de l’Atelier)
« La guerre de l'eau : privation, pollution et profit » (Ed. L’Aventurine)
« La biopiraterie ou le pillage de la nature et de la connaissance » (Ed. Alias)
Sur Anita Roddick
www.anitaroddick.com
"Corps et âme" : The Body Shop raconté par sa fondatrice, Anita Roddick (Ed. Village Mondial, collection Graines de Changement)
Sur Alice Waters
www.chezpanisse.com
www.edibleschoolyard.org
Sur Wangari Maathai
www.greenbeltmovement.org
www.wangarimaathai.org


Et sur Canopée, le magazine de Nature & découvertes


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